Refléxions 3

 Troisième partie de l'article de Jacques DuguetRéflexions sur les patois

 

Sentiment des usagers et opinion des dialectologues

 

 

D’autre part, il est évident que le sentiment des usagers actuels ne peut correspondre aux conclusions des dialectologues, quand ce sentiment existe. En effet, les braves gens ne se préoccupent guère de l’extension géographique de leur parler, qu’ils seraient bien incapables de préciser. Lors de mes enquêtes de terrain, il y a un demi-siècle, on usait partout du mot « patois » et partout on disait que c’était du « français écorché ». C’est pourquoi, à la SEFCO, nous avons été quelques-uns à essayer de montrer que les patois ont leur propre histoire, parallèle à celle du français, mais distincte, et que les mots empruntés par les patois au français l’ont été le plus souvent en les assimilant, autrement dit.en suivant leurs propres habitudes articulatoires.

Aujourd’hui, on parle de « poitevin » et de « saintongeais », dans des cercles restreints, sans d’ailleurs pouvoir indiquer de limite quelque peu précise entre ces parlers. En fait, au XIXe siècle, les termes de Poitou et de Saintonge, abandonnés depuis la Révolution, ont refait surface dans les milieux de la recherche historique et ils ont été repris par des amoureux de leur terroir qui ont tout simplement baptisé « poitevin » et « saintongeais » les parlers correspondants. Aucun historien sérieux ne s’est hasardé à définir les notions de Poitou et de Saintonge au cours des siècles. Il est évident que les notions de « poitevin » et de « saintongeais » sont aussi floues que peuvent l’être celles de Poitou et de Saintonge.

Des empoignades récentes

 

 

J’aurais tendance à affirmer une ignorance générale de phénomènes d’une variété et d’une complexité telles qu’il est impossible de les sai­sir tous et de les classer méthodiquement, dans une vaste région comme la nôtre. D’ailleurs, pour les siècles antérieurs au XVIe, notre documentation est indigente et d’interprétation délicate. Si l’histoire des événements, des institutions, des coutumes, des traditions…, n’est pas facile à établir, celle des parlers l’est davantage, ce qui n’empêche pas certains d’être très affirmatifs.

Des empoignades récentes au sujet de l’appellation « poitevin-saintongeais » sont proprement dérisoires. Je pense en particulier à un article intitulé « Le fâcheux trait d’union », qui est surprenant de parti pris et d’ignorance. Je rappellerai que nous avons lancé cette appellation, à la SEFCO, en 1971, pour remplacer des localisations faisant référence à l’hexagone, en un temps où le centralisme était encore en pleine vigueur. On usait alors des points cardinaux. Au XIXe siècle avait été fondée une société savante régionale sous le nom de Société des Antiquaires de l’Ouest. Au XXe siècle, l’atlas linguistique régional a été appelé Atlas linguistique et ethnographique de l’Ouest. La SEFCO a été créée en référence au Centre-Ouest. Certains parlaient de parlers du sud-ouest de la langue d’oïl… « Poitevin-saintongeais » avait à nos yeux le mérite de faire référence à des « provinces » et d’être court. L’ordre des termes était l’ordre alphabétique et il correspondait à l’importance relative des « provinces ». D’ailleurs, nous n’avons pas créé l’appellation, qui figure en 1960 dans le Dictionnaire étymologique de la langue française, de Bloch et Von Wartburg (article Chai).

Autrefois, les hommes s’étripaient pour des questions de frontière ou de foi. Aujourd’hui, l’épée et l’armure sont reléguées dans les musées et les Eglises cohabitent pacifiquement, mais une minorité – infime, heureu­sement – a récemment échangé des propos plus ou moins agressifs au sujet de parlers que mani­festement elle ne connaît pas mieux que les autres. Rappellerai-je que les patois étaient naguère objet de divertissement, dans des réunions de famille où on racontait des histoires amusantes, ou dans des fêtes où des animateurs costumés faisaient rire ou sourire les assistants ? Personne n’aurait pu, alors, supposer qu’ils deviendraient objet de discorde, voire d’injures, comme on en a constaté, notamment dans certains sites sur Internet.

Quand les gens ignoraient le français, ils faisaient des efforts pour comprendre « les étrangers », venus d’une paroisse plus ou moins éloignée. Aujourd’hui, certains feignent de ne pas comprendre telle ou telle expression locale quelque peu différente de celle qu’ils connaissent. C’est de la mauvaise volonté, preuve d’un état d’esprit sectaire.

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