Réflexions sur les patois .
Article de Jacques Duguet consultable suivant plusieurs chapitres .
Une expérience d'usager & Des différences locales : Ici même , à la suite de cette présentation
La dialectologie & Les causes de changements Cliquez sur ce lien ou page Réflexions 2
Sentiment des usagers et opinion des dialectologues - Des empoignades récentes idem Réflexions 3
Un " collectif " pour une décision sans portée & Sauver les langues minoritaires idem Réflexions 4
Réflexions sur les patois
Un billet de Jacques Duguet
Après avoir pendant longtemps abandonné l’étude des patois sans suivre l’évolution de la recherche, j’ai été, il y a quelque temps, sollicité pour fournir des renseignements sur le sujet, ce qui m’a conduit à constater que la situation était caractérisée par des conflits de conception, parfois violents, et par des attitudes extrémistes. J’ai alors éprouvé le besoin de faire le point, comme usager et comme chercheur.
Une expérience d’usager
En qualité d’usager, j’ai eu assez souvent des difficultés de compréhension, qui croissaient au fur et à mesure que je m’éloignais de chez moi en direction de terroirs aux parlers assez différents du mien ou moins francisés que le mien. Venant de Chauvigny, dans la Vienne, je comprenais mal les gens de la Menounière, en Oleron, ou des Portes, en Ré, où je faisais des enquêtes, en 1953. Plus tard, lors de congrès de la SEFCO en Vendée, j’ai dû me résigner à applaudir sans bien comprendre des conteurs ou des chanteurs. Tout récemment encore, j’ai été obligé d’écouter à plusieurs reprises la marche de mariée de mon camarade Ulysse Dubois, sur le site de la SEFCO, pour tout comprendre. Je suppose que je ne suis pas le seul à s’être heurté à ces difficultés, à l’intérieur d’une région dont la superficie dépasse celles de plusieurs Etats. J’ai peine à croire les animateurs de spectacles s’exprimant uniquement en patois qui affirment avoir été compris partout. Les applaudissements qu’ils ont reçus ne sont pas la preuve que les auditeurs les ont suivis de bout en bout. Je ne crois guère les auteurs d’articles qui ont écrit qu’on se comprenait sans difficulté d’un bout à l’autre de la région.
Des différences locales
En effet, des différences peuvent être observées même dans le cadre étroit d’une commune, entre les villages, entre les générations, voire dans les familles. A Chauvigny, dans mon enfance, avant la guerre, les uns appelaient le noyer « nouger », les autres « nouer ». Cette hésitation se retrouve en toponymie. Dans la même commune de Chauvigny, un terroir se nomme la « Nougeraie », nom qui est attesté anciennement, et un autre « la Noraie », nom qui semble plus récent. Nougeraie correspond à « nouger » et Noraie à « nouer ». Dans les deux cas, il s’agissait de plantations de noyers depuis longtemps disparues.
Certains appelaient le rouge-gorge « la russe », d’autres « la rouiche ». Le chevreau était consommé à « la sauce béquia » ou à « la sauce bequion ». C’était la même sauce. Le noyau d’un fruit était appelé « nouéyau » ou « ou » (comme l’os). « Tint-ou à l’ou ? » m’a demandé un jour un habitant d’un village voisin. J’ai dû réfléchir avant de lui répondre : « voui ». Il a poursuivi : « S’o tint à l’ou, ol est in proucè ». Je le savais mais, pour moi, le fruit en question était un « porsè » et j’ai bien fait rire les miens quand je leur ai rapporté cette conversation. Pour brouette, la prononciation hésitait entre « berouette » et « borouette », ce qui ne constituait d’ailleurs pas un obstacle à la compréhension. En ville, on usait du pronom personnel sujet français « je » et on se moquait des gens de la campagne qui employaient « i ». Je pourrais multiplier les exemples.
On s’interroge sur les causes de ces différences. Dans ma famille, j’ai pu en expliquer quelques-unes par des mariages. Pourtant, mes grands parents étaient originaires de communes rurales qui ne sont pas éloignées de Chauvigny. L’introduction de « je » en ville, aux dépens du « i » traditionnel, met en évidence le rôle bien connu des centres urbains dans la désagrégation des parlers ruraux. Dans l’ancien diocèse de Saintes, la francisation a largement introduit le même « je », adapté cependant à la prononciation traditionnelle caractérisée par une forte expiration du « j ». Ces observations mettent en évidence une grande complexité des phénomènes linguistiques, qui est d’ailleurs connue depuis longtemps.
J’ignore si quelqu’un a cherché à cerner, même approximativement, des aires à l’intérieur desquelles tout le monde se comprenait spontanément, malgré quelques petites différences de prononciation ou de vocabulaire. Au temps où les femmes, qui transmettaient les parlers, n’étaient guère allées, parfois « de leur pied », plus loin que le chef-lieu de canton, aux marchés ou aux foires, pour vendre quelques œufs, quelques fromages ou quelques poulets, ces aires devaient être restreintes. La compréhension n’empêchait d’ailleurs pas la raillerie bon enfant à l’adresse de ceux ou de celles qui avaient « un accent », comme on disait.