Réflexions 2

Seconde partie de l'article de Jacques Duguet :  Réflexions sur les patois 

 

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La dialectologie

Ces remarques de terrain ne peuvent qu’inciter à la prudence pour l’étude historique des parlers popu­laires et pour la définition de leur état actuel. Les dialectologues affirment depuis longtemps qu’il existe une unité relative entre les parlers d’entre Loire et Gironde. Cette opinion est fondée en particulier sur la phonétique et la morphologie historiques, disciplines exigeantes qui requièrent un minimum de formation et de nombreux dépouillements de textes anciens datés.

C’est grâce à la dialectologie, étayée par la toponymie, qu’on sait que des parlers à caractères occitans ont reculé dans le sud de la région. Cependant, les dialectologues sont bien conscients des limites de leurs possibilités, de la fragilité de leurs méthodes, partant de leurs conclusions. Par exemple, les enquêtes, effectuées plus ou moins rapidement auprès d’habitants plus ou moins coopératifs, ne sont pas toujours entièrement fiables. Au cours d’une enquête dans une partie de la Vienne, alors que j’accompagnais Jacques Pignon qui préparait sa thèse, nous nous sommes amusés à demander en plusieurs endroits si on y disait « i » au lieu du français « je ». On nous a alors renvoyés d’une commune à une autre. Nulle part on ne voulait admettre l’emploi de « i », qui était connu mais considéré comme inusité. Or, au cours de conversations, nous avons pu remarquer que ce « i » était bel et bien en usage en des lieux où on niait son existence. Il faut aussi tenir compte d’erreurs de perception de la part des enquêteurs, surtout quand ceux-ci ne sont pas de la région. Je citerai comme exemple la notation suivante, que j’ai remarquée dans une enquête pour l’ALEO : « O pue coume in fouin ; ol empouche le nez », pour « ol en bouche le nez ». Ceci dit, il n’est pas question de nier l’intérêt des atlas linguistiques qui sont d’une grande utilité pour étudier les parlers contemporains. Si on y rencontre une forme inattendue, en discordance avec les formes voisines, il suffit de l’ignorer.

Les causes des changements

 

Pour expliquer la substitution de parlers à d’autres, des dialectologues se réfèrent parfois à la situation politique. Ainsi, certains ont affirmé que, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, la chancellerie du comte de Poitiers Alfonse a joué un rôle dans l’introduction du français dans le comté de Poitiers, parce qu’elle usait du parler de la capitale. C’est inexact. Auguste Molinier a publié 2121 lettres d’Alfonse de Poitiers, qui sont en latin, sauf trois ou quatre. Les textes publiés émanant des services du comte sont en latin, notamment des enquêtes effectuées par ses envoyés. Le « terrier du Grand Fief d’Aunis », réalisé à la demande du comte, est rédigé en « langue vulgaire », mais par des locaux pour un usage local et cette langue n’est pas le français de France. D’autre part, il est vrai que Milan la Du a pu publier deux tomes de documents régionaux du XIIIe siècle rédigés également en « langue vulgaire » mais aucun n’émane de la chancellerie comtale ou royale et leur langue n’est pas celle du roi.

De toute façon, l’usage administratif - et notarial - n’a pu influencer directement les parlers de ruraux qui ne savaient pas lire. D’ailleurs, les « chartes » du XIIIe siècle ont été rédigées pour des gens des villes, des bourgeois ou des seigneurs. Le prestige de la langue royale n’a pu gagner les « classes populaires » que très lentement, selon des modalités qui nous échappent. De plus, les souverains n’avaient cure des parlers de leurs sujets. François 1er est le premier à avoir imposé le français, mais au détriment du latin et non des parlers locaux, et seulement pour un usage administratif. Pour la période contemporaine, ce sont les hommes, soumis à un long service militaire loin de leurs villages, qui ont introduit dans les foyers ruraux le français populaire, d’ailleurs émaillé de termes d’argot. Dans le même temps, l’école enseignait le français académique aux garçons quand ils n’étaient pas retenus à la ferme pour des travaux pressants et aux filles quand on n’avait pas besoin d’elles pour garder les moutons. Mais qu’en fut-il auparavant ? Les déplacements de population, notamment au Moyen Age, par suite des épidémies et des guerres, ont pu avoir des conséquences sur les parlers mais l’histoire est impuissante à les saisir.

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