Réflexions 4

Dernière partie de l'article de Jacques Duguet : Réflexions sur les patois 

 

 

Un « collectif » pour une décision sans portée

Dans les derniers mois de l’année 2006 s’est constitué un « collectif pour la défense de l’identité saintongeaise», qui avait pour but de faire reconnaître par un organisme officiel « le saintongeais » comme « langue de France », distincte du « poitevin ». L’intitulé pouvait paraître inadapté mais des membres du « collectif » connaissaient le point de vue d’un responsable influent de l’organisme décideur, selon lequel les usages sociaux, les pratiques culturelles, le sentiment des locuteurs ont autant, voire plus d'importance que les avis des linguistes. Le groupe a su tenir compte de ce point de vue. Il a donc constitué un dossier en ce sens, composé pour partie d’interprétations très orientées ou erronées de documents que je lui avais communiqués à sa demande et, de plus, plein comme un œuf d’une documentation tous azimuts. Pour en avoir eu connaissance, j’avais prévu un refus. Or, à ma grande surprise, la demande a été acceptée. Il faut dire que le « collectif » n’avait pas lésiné sur les moyens, obtenant en particulier l’appui d’élus départementaux aussi incompétents que les autres, qui sont intervenus personnellement auprès de l’organisme décideur, l’un d’eux n’hésitant d’ailleurs pas à parler de « peuple saintongeais » !

Ainsi, « le saintongeais » a été reconnu « langue de France ». Les membres du « collectif » ont été satisfaits. Cependant, les décisions de la Délégation n’ayant pas force de loi, cela n’oblige personne à considérer le saintongeais comme une « langue » et à abandonner l’expression « poitevin-saintongeais ». Cela ne change en rien le point de vue des dialectologues. Cela n’oblige personne à abandonner le mot « patois ». On se demande d’ailleurs si l’intervention des élus n’a pas été décisive dans la décision de la Délégation, puisque ces derniers ont été avisés les premiers de cette décision. Personnellement, je déplore que les politiques interviennent dans des problèmes qui ne sont pas de leur compétence, mais il est vrai que, pour leur excuse, ils sont sollicités pour obtenir de l’argent public.

Quoi qu’il en soit, les élus qui ont été mêlés à la querelle n’ont pas été fâchés d’avoir l’occasion de contredire la présidente de région, qui n’était pas de leur bord politique. Cependant, la démarche aura peut-être fait réfléchir quelques personnes qui ont publié des textes ou des glossaires en une graphie à peu près inaccessible au commun des mortels, qui a été, sans surprise, très mal reçue dans les milieux patoisants.

Cela ne changera pas non plus l’état de désagrégation des parlers populaires de la Charente-Maritime et de la Charente. Les patois de nos pères se meurent, car les langues meurent, comme les individus et les civilisations. Il en est ainsi depuis longtemps ! Des associations, des mouvements agréés ou des périodiques pourront ainsi espérer obtenir plus facilement des subventions, pour organiser des colloques ou poursuivre une propagande qui n’intéresse qu’une minorité.

 

 

Sauver les langues minoritaires

Il est question de « sauver » les « langues minoritaires ». Intention louable mais peut-on « sauver », en les baptisant « langues », les patois de la région. La « littérature » d’expression locale est essentiellement une littérature de dérision ou de comique populaire, émanant de gens dont la langue usuelle est le français. C’est par ironie que des lettrés ont qualifié de « bea langage poitevin » le parler des paysans de leur entourage. Goulebenéze, l’illustre chansonnier, n’a pas eu d’autre ambition que d’amuser son public en patois, en se gaussant de l’actualité. Quand il a voulu magnifier la Saintonge, il s’est tout naturellement exprimé en français.

Les patois sont les vestiges de modes de vie et de mentalités disparus, des parlers de ruraux qui ont reculé au fur et à mesure de l’urbanisation. Or, aujourd’hui la France est presque entièrement urbaine. Le riche lexique de nos ancêtres est perdu parce que les jeunes qui sont restés à la terre ne labourent plus à l’araire, ne moissonnent plus à la faucille à dents, ne battent plus les céréales au fléau. Ils seraient bien incapables de lier des bœufs et il ne faut pas leur demander les noms des différentes parties du joug. Ils n’achètent plus, aux foires, les almanachs qui prédisaient le temps pour toute l’année et le baume vert qui était appliqué à des mains meurtries par le froid et les durs travaux. Ils ont leur salle de bain alors que les vieux économisaient l’eau trop rare de citernes, de puits parfois taris en été, ou même de « fosses à boire » un peu moins infectes que les « fosses aux bêtes ». Ils n’entendent plus la « chasse galopine » ou la « chasse Galery » traverser le ciel par les nuits noires et ils ne s’effraient pas si un chat noir coupe leur chemin. Par contre, ils gèrent leurs exploitations avec l’ordinateur qui s’est rapidement introduit dans beaucoup de foyers. En l’occurrence, ils sont obligés de savoir des termes d’anglais et non de patois.

Les conditions de vie et les mentalités ont considérablement évolué depuis quelques décennies et les parlers locaux en ont subi les conséquences. Ceux-ci sont de moins en moins usités. Quand je retourne au pays natal, je ne parle pas en patois parce que ceux de ma génération ont emporté avec eux, au cimetière, notre parler maternel. Il existe bien encore, ici ou là, des îlots de résistance à la francisation. Ils sont entretenus par des anciens qui aiment à raconter leur jeunesse, au cours de laquelle la vie n’était pas celle d’aujourd’hui, mais que feront les jeunes quand ils se retrouveront seuls, dans l’ambiance de leur temps ? Quelques-uns pensent qu’on peut leur enseigner les patois. Pas moi. Quand certains de mes élèves en histoire me demandaient de leur apprendre « le patois », je leur répondais : « Le patois ne s’apprend pas entre quatre murs blancs. Va donc passer tes vacances à la campagne, chez tes grands parents ou chez des amis ».

Cependant, il est évident qu’on doit enseigner à des jeunes attirés par le théâtre en patois des prononciations qu’ils ne pratiquent pas dans la vie courante. On doit aussi leur expliquer les textes qu’ils auront à réciter sur scène. En effet, il existe toujours des « groupes d’expression », costumés à l’ancienne, qui animent de sympathiques soirées souvent fort appréciées. Ce sont des « mainteneurs » à leur façon et on ne peut que les encourager, mais le théâtre est un art et le quotidien est autre chose. Après avoir repris le costume de leur temps, les artistes s’expriment comme tout le monde. Ils ont au moins la satisfaction d’avoir fait passer un bon moment aux spectateurs.

Quant à la création de caractère « littéraire », elle semble actuellement à peu près limitée au théâtre comique. Il y a pourtant des anciens dont la mémoire est intacte et le parler assez riche pour qu’ils envisagent d’écrire leurs souvenirs, voire des nouvelles ou des romans dont l’action se situerait à l’époque où le monde rural n’était pas encore désagrégé. On ne peut que souhaiter qu’ils en aient le désir.

Pour en revenir à ceux qui se proclament « défenseurs » d’un « patois » ou d’une « langue », on ne peut pas ne pas remarquer que, parmi les plus acharnés, sont ceux que quelques-uns appellent les « ben loin », des gens que les nécessités de l’existence ont éloignés du village où ils sont nés. Leur village est pour eux, comme pour les autres, le paradis perdu de leur enfance. Je suppose que, s’ils y reviennent, ils sont déçus des aménagements récents et de la désagrégation du parler qu’ils ont reçu de leurs parents. Certains avouent même qu’ils comprennent encore le patois mais ne sont plus en mesure de le parler.

Ajouterai-je que ces « défenseurs » ne sont pas connus comme ayant publié quelque étude sur les patois, pas même sur le lexique de leur coin, ce qui ne les empêche pas de proférer des contre vérités avec une belle assurance. Ils constituent un microcosme isolé dans une société dont ils semblent n’avoir pas perçu le caractère. Quant à ceux qui prétendent « maintenir » une « langue régionale » imaginaire en affublant les mots des patois de graphies inassimilables par le plus grand nombre et en créant des termes incompréhensibles, ils s’isolent des amateurs d’expression populaire locale, qui ne sont pas disposés à se demander à longueur de texte ce que peut signifier tel ou tel terme qu’ils ignorent et qui est absent des dictionnaires de patois. Tout au plus peuvent-ils espérer constituer une chapelle d’initiés à une « langue » aussi hermétique au commun des mortels que l’est aujourd’hui le latin, d’ailleurs à peu près abandonné par l’Eglise romaine.

Les patois n’étaient pas aptes à l’abstraction parce que les usagers n’étaient pas des intellectuels. Ce qui émeut aujourd’hui ceux qui ont reçu à la mamelle le patois des ancêtres et ont quitté la campagne, munis de bagages d’intellectuels, pour gagner leur pain au loin, est de retrouver chez les patoisants le parler et l’esprit populaire locaux qui leur rappellent leur enfance. Ce parler convenait au récit, au conte, à la légende, mais non à la démonstration, de quelque nature qu’elle soit. Encore le récit de nos vieux ne s’embarrassait-il pas de fioritures de style et le conte était-il le plus souvent fort simple. Un bon exemple de ce qu’étaient les légendes populaires est fourni par une enquête faite jadis par Léon Pineau dans la vallée de la Vienne. Ce sont des textes très courts, auprès desquels les « légendes » présentées par divers auteurs au XIXe siècle apparaissent comme des œuvres personnelles d’écrivains.

La meilleure façon de « sauver » les parlers populaires ruraux est bien d’en noter les caractéristiques, avant leur disparition complète, pour que les générations futures les connaissent, ne serait-ce que partiellement, et, en ce domaine, il y a encore beaucoup à faire. Nous avons la chance de disposer d’instruments d’enregistrement qui permettent d’immortaliser les voix. Des enquêtes ont déjà été réalisées en ce sens. Il faut les continuer, avant qu’il ne soit trop tard.

Quant à la « langue de France » utilisable par tous, pour toute discussion compréhensi­ble ou tout exposé sérieux, c’est bien celle dont le « roi grand nez » a imposé l’usage administratif, il y a déjà quelques lustres, que nos maîtres d’école nous ont religieusement enseignée et que des combattants à la plume acérée utilisent aujourd’hui à l’exclusion de toute autre, afin d’être compris de tous, dans la région, dans l’hexagone, voire au delà.

 

 

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