Diamants d'Ars en Saintonge
Cette histoire est traduite d'un texte d'expression patoise des charentes de langue d'oïl . Ce texte est consultable [ ICI ]
Les diamants d'Ars by Célestin Beurdassou alias Yany Augiron est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France. Elle est sous licence Créative commons sous les formes texte et audio.
Le père Polite était assis sur le banc de pierre encore chaud de toute la canicule du jour . C'est que la chaleur avait été ardente aujourd'hui . A droite du seuil , au milieu entre la porte et la fenêtre, ce banc avait avalé une grosse quantité des rayons du soleil et maintenant que venait la fraîcheur de la nuit , notre Père Polite se réchauffait les fesses et le bas du dos .Après une journée à lever les fourches de foin vers le sommet de la charrette à bœufs , les cuisses et le reste de sa carcasse l'élançaient . La douleur se promenait d'un os à l'autre .
— « Je dois avoir fait mon temps maintenant , je ne tiens plus l'effort ͟! Il va falloir laisser la place à la jeunesse ! »
Á ce mot là , ce ne sont plus les cuisses ni les jambes qui le faisaient souffrir . Ce serait plutôt à l'endroit du cœur que son âge venait de poser son pouce. Poser et enfoncer , elle lui a fait mal cette idée d'abandonner !
— « Pourtant , il le faudra bien , je n'y échapperais pas ! Essayons d'assurer encore in peu ! Si seulement je pouvais dormir, mais rien , je tourne et me retourne dans le lit , les sourcils ouverts comme la porte du four à pain . Cela ne m'aide pas à être en forme au lever du jour, je vous l'assure . Et ce plein de la lune qui éclaire , cette face de carême immobile , là , a faire admirer ses fesses à longueur de nuit , est-ce charitable ?! »
Pas un nuage , rien , une grande quantité d'étoiles , ça , oui ! Il en est d'allumées ! Et cette voie lactée, blanche de neige où les anges transportent les « mauvais » depuis le portail du paradis vers le puits de l'enfer, ou bien dans les près clos du purgatoire pour qu'ils y mangent l'herbe dépurative dite « herbe à chiens », jusqu'à ce qu'ils soient purgés de leurs turpitudes .
C'est à ce moment qu'un phénomène traça un sillon de charrue d'un angle à l'autre du ciel . Droit et froid comme le tranchant d'une serpe , cela tomba en ronflant et en vibrant .
— « Mais , qu'est ce que c'est ? »
Bientôt il se reproduit la même chose , encore et encore et toujours , comme s’il en tombait une pluie de flèches. Maintenant le ciel en était aussi lumineux qu'en plein jour. Il semblait que les chutes étaient tout près et à chaque fois cela faisait « piauque » , comme une bouse qui se plaque au sol .
— « Il pleut des chandelles. Misère , il tombe des chandelles sur Ars ! Qu'est ce donc ? A moi , bonnes gens ! »
L'averse prit fin comme elle était venue , d'un seul coup , comme s'il ne s'était rien passé . Le Père Polite en était ébahi , il grogna :
— « Mais maintenant ! Mais maintenant ! Qu'est ce que c'est ?? »
Il posait déjà un sabot devant l'autre , oubliant douleurs et fatigues , droit vers un nuage de brume qui s'élevait , masquant la silhouette du clocher d'Ars . Il se propageait des relents d'eau brûlée , semblables à ceux de la forge quand le maréchal ferrant plonge le fer chauffé à blanc dans le baquet d'eau . Il marchait , il en courait presque , traversant tout droit vers ce nuage, ce genre de tourbillon de fumée blanche qui s'étendait en l'air pour rejoindre sa place , là où les nuages se trouvent habituellement
Quelque chose brillait au milieu du champ , ce champ dit « la prée des sables » dont ils avaient justement rentré le foin ce jour même . Cela éclairait , il brillait tout un monde de vers luisants . Une cinquantaine pour le moins , et gros autant que des navets !!
— « Ils vont mettre le feu , ce n'est pas possible! Vermine , animaux du diable !! »
Père Polite chercha d'en écraser le plus proche. Pour peu il se serait foulé la cheville! L'animal luisant était dur comme un roc , gros comme un cailloux et luisait à la lune de l'éclat de l''acier .
Père Polite peureux, approcha la main et puisque cela ne bougeait pas , ne brûlait pas , il toucha rapidement du doigt .Le cailloux était légèrement chaud , pas plus que le banc de pierre . Alors fier et hardi comme le jeune oison destiné au repas de fin de vendanges , il leva devant ses yeux, à la clarté de la lune , l'une des pierres que la nuit venait de lancer sur l'herbe rase.
— « A moi dont !! »
La lumière traversa d'un bord à l'autre et par le travers !
— « Moi dont , moi dont ! »
Pére Polite se mit à trépigner , à se déplacer en rond , à sautiller en dansant la gigue , le sabot joyeux . Avant de rentrer , il ramassa un autre cailloux et revint chez lui . . Les pierres scintillantes servaient de lampe . Tout essoufflé , Père Polite avait besoin d'un remontant. Les cailloux posées sur la table, il but un coup de piquette et admira les éclairages qui illuminaient la pièce . La mère , derrière les rideaux du lit à colonnes ronchonna :
— « « Père Polite ! Avez vous perdu la raison ? Il est éclairé ici plus qu'à la messe ! Les chats ne pissant pas de l'huile » (expression rappelant que l'huile est coûteuse ) !!
— « Tais-toi ma bonne ! Arrête de te plaindre . Ce n'est pas de l'huile que vont pisser les chats . Pas plus tard qu'au levé du jour , ici , les chats pisseront des louis d'or ! . Regarde ce qui vient de tomber , je crois que c'est précieux, ça ! Je crois que se sont …. des diamants ! »
Aussitôt , les habitants de la maison , étaient tous réunis, assis en cercle et les yeux ouvert ''à deux battants '' . Le fils , la belle fille et la mère, écoutaient le père Polite qui racontait l'insomnie sur le banc, l'averse de chandelles , les nuages argentés , « la prée des sables » illuminée par des vers luisants , les pierres , les diamants ...les diamants !! C'étaient quatre bouches si grandement ouvertes que les mouches pourraient y faire une foire et que pour les clore , il n'est pas certains que quatre eus de canes de barbarie auraient suffit .
Rester ainsi assèche les intérieurs de bouches , le père et le fils se sont réhydratés le palais avec une grosse rasade de piquette .
— « Les femmes préparez la soupe , toi , le fils atèle la vache ''morlette '' au tombereau . Nous allons déjeuner et ensuite tous le monde au chantier ! »
Bien avant les premiers rayons de l'aube, les membres de la famille semblaient charger des betteraves à plein tombereau . Ils semblaient avoir perdu la raison , pauvres gens ! En pleine fenaison ! Qu'est ce donc qu'il transportent ? Des pierres ! Pauvres !!!!!!
Plus le jour venait , moins les pierres éclairaient . Les coqs criaient partout au village . Le soleil n'était pas monté plus haut que les peupliers que « la prée des sables » était vidée de toutes les pierres . Il en restait quelques unes dans les parcelles voisines et le fils voulait les prendre . Le père a ronchonné :
— « Ne vas pas faire des bêtises mon fils , elle ne sont pas chez nous !! »
La propriété d' Hippolyte Roudiau se trouva vite mise en fermage . Les Roudiau sont devenus des bourgeois aisés. Les petits enfants du Père Polite , ayant bénéficié d'instruction, sont devenus riches en taillant des pierreries où la lumière rebondissait d'une face à l'autre . Ces pierres n'étaient pas des diamants . Les pierres d'Ars , que les riches dames accrochaient sur le corsage , en colliers ou en toutes sortes de pendentifs, n'étaient pas des diamants . Les églises et les châteaux s'illuminaient de chandeliers décorés avec des grosses larmes de « diamants d'Ars » !
Quelques temps après la Révolution un homme savant en minéralogie écrivit dans un livre spécialisé ….Il se trouve sur la commune d'Ars , arrondissement de Cognac , un cailloux transparent qui, une fois taillé ressemble au diamant par sa blancheur et par son jeu . Ce cailloux est le plus souvent allongé , sa taille est variable ainsi que son poids. Les plus lourds pèsent jusqu'à deux hectogrammes . Ces minéraux effleurent des terres sableuses mais ils deviennent rares depuis plusieurs années …..
Notre ami Bernard , plus connu sous le nom de Bernard Mouthiers , éminent hydro-géologue , nous éclaire un peu : En interrogeant la banque de données du sous sol, le seul sondage qui permettrait de savoir ce qu’il y a dans ces « sables », n’a traversé que.... la craie ! Comme possibilité, dans les terrains de couverture sableuse de la craie, il pourrait y avoir des néo-cristallisations de quartz limpide, je ne vois pas quoi d’autre. ( Sauf peut-être de la calcite, mais elle est trop tendre ).
Oui , mais diamants d' Ars , n'est ce pas plus joli !!!!